Présentation et prolongements du colloque “Musique(s) dans la création artistique et littéraire francophone de l’Atlantique noir”

Article rédigé par Marion Coste, PRAG CY

Le projet du colloque “Musique(s) dans la création artistique et littéraire francophone de l’Atlantique noir”, qui s’est tenu les 8 et 9 avril 2021 à la Maison internationale de la recherche de Neuville-sur-Oise, est né de la lecture de L’Atlantique noir de Paul Gilroy. “Étudier la place de la musique dans l’Atlantique noir, c’est examiner à la fois l’idée que se faisaient d’eux-mêmes les musiciens qui l’ont conçue, l’usage symbolique qu’en ont fait d’autres artistes et écrivains noirs et les rapports sociaux ayant produit et reproduit cette culture expressive unique, où la musique joue un rôle central et même fondateur¹”, déclare ainsi ce chercheur. Dans la continuité des travaux rassemblés dans L’Imaginaire musical dans les littératures africaines² et dans Afrique, musique et écriture³, nous avons étudié à la fois cette musique et la façon dont elle nourrit l’ensemble des pratiques artistiques et littéraires de l’Atlantique noir, et témoigne des rapports sociaux qui l’animent.

Il en est ressorti que les musiques de l’Atlantique noir, jazz et rap notamment, mais aussi biguine, reggae, funk, soul, et la liste reste ouverte, permettent de penser l’Atlantique noir comme un ensemble rhizomatique, dans lequel cultures et identités se construisent par rencontres et résurgences  : “La musique et ses rituels peuvent être utilisés pour créer un modèle où l’identité n’est plus conçue ni comme une essence immuable ni comme une construction vague et absolument contingente, susceptible d’être réinventée au gré de caprices des esthètes, des rhétoriciens et des faiseurs de symboles⁴.” L’étude de la façon dont les artistes construisent ces identités diasporiques en mobilisant la musique a été au cœur de nos réflexions.

Nous avons constaté que la littérature francophone foisonne de références à la musique de l’Atlantique noir, chez Miano, Césaire, Kwahulé, Efoui, Maran, Maximin, Lopès, Mabankou, Labou-Tansi, Diome et Agnant, et que la musique invente aussi des formes accueillant la littérature, par exemple dans l’œuvre musicale “Coulée Damas”, dans les adaptations musicales de l’œuvre de Césaire ou lors des soirées du High Life.

Mais la musique n’est pas seulement un art qui nourrit la littérature et ses genres. Jouant avec les mots, les sons et les sens, le rap invente une poésie sonore originale en perpétuelle transformation. Pratique artistique résolument nomade, il est une création continue. “Art de la débrouille” comme le nomme Nicolas Baltzer, fondateur de l’Abcdr du Son, il modifie la forme et le rythme, mais également varie et imprègne l’espace de création et de réception. Il fait entrer la rue et ses pratiques dans le studio, l’atelier et sur la scène. Toute une génération d’artistes contemporains (sculpteurs, vidéastes, photographes, peintres, danseurs …) a grandi et crée en écoutant du rap. Street art ou graffiti, le rap appartient à la culture hip hop et bon nombre de rappeurs sont graffeurs. Nous avons ainsi étudié les œuvres des rappeurs Kery James, Casey, Meryl, ainsi que de plusieurs artistes se rattachant à l’Afrotrap. Une attention particulière a été apportée aux clips, partie intégrante de l’œuvre qu’est le morceau de rap.

Si la mémoire de l’esclavage a été largement abordée à travers plusieurs présentations, la musique est aussi apparue comme le moyen d’un dépassement de la blessure coloniale, mettant en scène la guérison (et non pas l’oubli) d’un passé douloureux chez Daniel Maximin, Fatou Diome et Léonora Miano par exemple, ou pour générer des inventions musicales ou littéraires joyeuses, telles que celles de l’Afrotrap. Sylvie Brodziak et moi-même avons alors eu envie de poursuivre cette réflexion sur les relations de la musique et de la littérature en nous attachant à l’espace des cités, aux littératures urbaines et au rap, que nous explorerons dans une journée d’étude le 18 mars 2022 à CY Cergy-Paris Université, convaincues que l’espace urbain qu’est la banlieue est, au XXI^e siècle, un des hauts lieux de la création artistique. Thème récurrent dans le rap et la littérature, il rompt avec la langue, questionne la forme et modifie les représentations. Il s’agira donc dans cette journée d’étude d’explorer la poétique que fait naître la banlieue en littérature et dans le rap, tout en respectant la singularité des modes d’expression artistique.

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Marion Coste est docteure en langue et littérature françaises et agrégée de lettres modernes, membre de l’UMR Héritages – Culture/s, Patrimoine/s, Création/s.

Ses recherches s’inscrivent dans l’axe 2, “Expériences, pratiques, acteurs dans les champs culturels et littéraires”. Elle s’intéresse aux renouvellements formels de la littérature francophone d’Afrique subsaharienne, notamment grâce à l’influence de la musique, dans une perspective postcoloniale et féministe. Ses recherches portent sur Léonora Miano, Calixthe Beyala, Scholastique Mukasonga, Kossi Efoui, et Koffi Kwahulé. Elle a écrit notamment “Les mauvaises mères dans Femme nue, femme noire de Calixthe Beyala et Contours du jour qui vient de Léonora Miano”, pour le numéro 47 de la revue internationale ELA (Études littéraires africaines) consacré à Léonora Miano, ou “Vulnérabilité, puissance d’agir et care dans Contours du jour qui vient de Léonora Miano”, pour la revue ElFe XX^e-XXI^e, n^o 9, 2020, “Dire et lire les vulnérabilités contemporaines”, dirigé par Marie-Hélène Boblet et Anne Gourio (https://journals.openedition.org/elfe/).

Notes

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1. Paul Gilroy, 2010. L’Atlantique noir. Modernité et double conscience, Paris, Éditions Amsterdam, coll. « Atlantique noir »,p. 114. [↩]
2. Robert Fotsing Mangoua (dir.), 2009. L’Imaginaire musical dans les littératures africaines, Paris, L’Harmattan Cameroun. [↩]
3. Gilles Teulié (dir.), 2001. Afrique, musique et écriture, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, coll. “Les cahiers du CERPANAC”. [↩]
4. Paul Gilroy, op. cit., p. 151. [↩]

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